NOTES

 

C’est pourtant bien à lui que Hugo emprunte la fin de ce paragraphe. La grotte basaltique et, à son entrée, la « chaise du poète » sont l’objet du récit suivant, très goguenard, de Walter Scott:

« Une vingtaine de Mackinnons, qui habitaient dans le voisinage […] accoururent pour célébrer leur jeune chef. Celui-ci les accueillit avec beaucoup d’affabilité et se montra très libéral. Le lendemain nous traversâmes l’île sur des poneys du pays, et nous arrivâmes entourés d’un nombreux cortège d’enfants de Gael, au bord d’un lac d’eau salée nommé Loch an Gaoil. Les bateaux de Staffa nous y attendaient, pavoisés et munis de leurs joueurs de cornemuses. Nous cinglâmes ainsi en grande pompe vers cette île déserte, où notre honoré seigneur possède une résidence très confortable. Une décharge générale de mousqueterie nous accueillit au débarquement. Il serait difficile de donner une idée exacte de cette étrange résidence. La caverne célèbre dont vous avez dû souvent entendre parler est entièrement composée de piliers basaltiques, aussi élevés que la nef d’une cathédrale; les parois sont incrustées d’un marbre rougeâtre qui défie toute description. Les vagues d’une mer profonde et orageuse en balaient éternellement le sol. On peut se promener le long des piliers brisés, et arriver ainsi non sans difficulté au fond de la caverne. Les bateaux y entrent quand la mer est calme, ce qui arrive bien rarement.

Les bateliers des Hébrides m’ont pris en affection. Pourquoi ? je l’ignore; mais peut-être à cause de l’intérêt que je montre pour leurs vieux usages et leurs vieilles légendes. Ils admirent aussi la manière dont je surmonte les obstacles qui arrêtent tout court mes compagnons de route. N’ont-ils pas eu la fantaisie de baptiser solennellement le grand siège de pierre à l’entrée de la caverne, du nom de Clachan an Bairdh? « La pierre du poète » a été consacrée aux sons du pibroch, que les échos répercutaient d’une manière vraiment tonnante et par des libations de whiskey, non point répandu sur la pierre stérile, suivant l’antique usage, mais versé dans le gosier des assistans. Le batelier en chef, dont le père était lui-même un barde, m’a harangué à cette occasion, mais en langue gaëlique, si bien que j’ai dû recevoir cet hommage comme une naïve beauté reçoit un compliment à l’eau de rose. J’ai fait une révérence, et je  me suis tu.

Après cette plaisanterie, dont les acteurs gardaient du reste le plus grand sérieux, nous nous sommes dirigés sur Iona… »

Ce texte, est présenté par la Revue Britannique ou Choix d’articles traduits des meilleurs écrits périodiques de la Grande-Bretagne (quatrième série, tome 11, 1837, p. 283) de la manière suivante: « En juillet 1810, Scott entreprit un petit voyage aux Hébrides. Il était accompagné d’une partie de sa famille et de plusieurs amis. Il paraît n’avoir tenu aucun journal de cette première tournée; mais il écrivit diverses lettres où ses impressions sont brièvement consignées. La première, datée du manoir du jeune laird de Staffa, aujourd’hui sir Reginald Macdonald, etc., etc., baronnet, est adressée à miss Joanna Baillie. »

C’est dans ce texte, celui de la Revue britannique ou un autre, car ce récit figure en plusieurs endroits, que Hugo trouve sa clachan an bairdh ; aucun autre texte n’en a jamais fait état et pour cause puisque ce n’est que le nom facétieux que lui ont donné les compagnons d’excursion de Walter Scott.

Facétie pour facétie, Hugo prend la plaisanterie au sérieux et la retourne. Non pas en l’honneur de Walter Scott, ni non plus de Mendelssohn (1839) ou de W. Turner (1832) mais en celui d’Ossian dont le héros, Fingal, avait donné pour toujours son nom  aux grottes de l’île de Staffa. Si bien qu’on ne saurait exclure que Scott n’ait pas compris qu’il pouvait y avoir de l’ironie dans l’honneur qui lui était fait et que, en tout cas, Hugo rend hommage, au moyen de Scott et par-dessus sa tête, à Macpherson, plagiaire et génial, comme lui-même.

L’opération s’achève avec le dernier retournement de la légende, violemment iconoclaste celui-ci, qui n’assoit plus ni Scott, ni Mendelssohn, ni Turner, ni Macpherson, ni Ossian, ni Fingal, mais un pécheur industrieux et amoureux, Gilliatt, sur la chaise Gild-Holm-‘Ur.